L’essence de la manifestation - Ed.P.U.F.(1963)

PREFACE
INTRODUCTION : Le problème de l’ego et les présuppositions fondamentales de l’ontologie

I - ELUCIDATION DU CONCEPT DE PHENOMENE : LE MONISME ONTOLOGIQUE
II - TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
III - LA STRUCTURE INTERNE DE L’IMMANENCE ET LE PROBLEME DE SA DETERMINATION PHENOMENOLOGIQUE : L’INVISIBLE
IV- INTERPRETATION ONTOLOGIQUE FONDAMENTALE DE L’ESSENCE ORIGINAIRE DE LA REVELATION COMMME AFFECTIVITE
INDEX

IV INTERPRETATION ONTOLOGIQUE FONDAMENTALE DE L’ESSENCE ORIGINAIRE DE LA REVELATION COMMME AFFECTIVITE

Les premiers chapitres de cette section qui établit le caractère concret de la phénoménologie de l’immanence instaurent des notions capitales dont le choix et la signification eidétique rigoureuse sont propres à M.H. Elles dessinent une nouvelle topographie ontologique, fixent de nouveaux rapports. Concept central d’affectivité, dénommée aussi sentiment -au singulier-, sensibilité qui est déterminée par l’affectivité, passivité, souffrance, joie etc.

§ 52 Affectivité et ipséité
A partir de l’acquis, la structure de l’auto-affection est l’immanence, M.H. établit une série de propositions: « ce qui se sent sans que ce soit par l’intermédiaire d’un sens est dans son essence affectivité ».Essence de l’auto-affection, elle est celle de la révélation. Toute expérience est expérience immédiate de soi, c’est-à-dire ipséité dont l’essence ne se réalise pas dans le temps. N’étant jamais le contenu d’un sens, le sentiment ne peut être senti ni perçu, il est pur sentiment de soi. A partir de ce fondement, toute représentation, toute détermination de l’existence est affective. C’est le soi originel et concret de l’affection, non le sujet logique qui forme et rend possible l’opposition et la réception sur le fond de leur identité affectant - affecté.
§ 53 L’affectivité comme passivité ontologique originaire et l’effectivité de son essence dans le souffrir
L’affectivité est révélation de l’être dans sa passivité originaire à l’égard de soi. Cette passivité de l’ipséité signifie « subir son être propre, se sentir soi-même tel qu’on est dans l’identité absolue du se sentir et de ce qu’il sent » - c’est cela qui forme l’épaisseur du sentiment, sa transparence, son unité. Dans l’immanence du sentiment, le sentir ne se dépasse donc vers rien, le Soi étant le dépassement de Soi comme identique à Soi. Telle est son impuissance et sa puissance puisque dans cette adhérence à soi, il parvient en soi à la jouissance de son être propre. En vertu de cette passivité ontologique, l’être de l’action est non action, pas plus qu’il n’y a d’effort dans le sentiment de l’effort. Etre un sujet veut donc dire subir, veut dire être. Aucun romantisme en tout cela, il s’agit de la structure interne de l’être, précise M.H. qui souligne contre Heidegger : l’essence de la phénoménalité ne se situe pas au-delà de son apparence mais la constitue. L’être n’est invisible qu’en tant qu’il nous affecte.
§ 54 Interprétation ontologique de l’affectivité comme fondement de l’affection. Le problème de l’affectivité intentionnelle
En tant qu’immanence, l’affectivité est la condition de la sensibilité, de la transcendance, le sentir n’étant possible que sur le fond en lui du se sentir soi-même qui lui donne sa réalité, l’ipséité rendant possible l’affection par l’être étranger. Alors que l’affectivité n’est jamais sensible, la sensibilité est constamment affective, caractère qui rend possible son exercice, parce que le pouvoir de l’opposition qui nous ouvre le monde comme affection de la transcendance par le monde, a sa condition dans l’auto-affection et dans l’affectivité. Tout rapport est affectif, tout comprendre est affectif de même que toute image, en raison de ce lien de fondation. Critique de l’affectivité intentionnelle.
§ 55 Détermination ontologique de l’affection par l’affectivité.
Parce qu’elle rend possible la venue de ce qui arrive et le détermine comme affectif, c’est l’affectivité qui fonde l’affection. Elle se surordonne ainsi à la détermination des tonalités de l’existence à partir de l’affectant. La tonalité est une propriété de l’essence, sa modalité. L’autonomie est l’essence de la vie en tant qu’elle a le sentiment d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle peut être affectée. Telle est la passivité originelle de l’être à l’égard de soi, et sa suffisance en soi-même, l’essence de la non-liberté : dépendance absolue à l’égard de soi ; indépendance absolue à l’égard de l’être étranger. Analyse du désespoir et de la béatitude selon Scheler. Rejet de la thèse de Fichte sur le sentiment ainsi que de la psychologie qui se dit scientifique. Toute destinée ne peut se comprendre que comme historial de l’absolu, disait Lagneau.
§ 56 Affectivité et sensation
Mise au point du rapport affectivité – sensibilité : erreur d’interpréter l’affectivité comme résultat de la sensibilité. La réalité des sensations, jamais individuellement isolables, est due non pas à leur somme mais à leur être ensemble, ce qu’on appelle coenesthésie, dont le contenu impressionnel subjectif dépasse la simple représentation – sentiment général de l’existence dont le facteur d’unité est l’affectivité, condition de toute sensation, qui n’est réelle qu’en tant qu’elle s’affecte elle-même, ce qui présuppose la dimension ontologique de l’auto-affection et de l’affectivité. Car la sensation n’est jamais extérieure, ce qui l’est est sa référence à l’objet extérieur. Elle a deux contenus, un contenu immanent, affectif et un contenu transcendant, l’excitant. La sensibilité est donc à la fois affective et représentative.
§ 57 L’affectivité comme forme universelle de toute expérience possible en général et comme forme de cette forme. Le concept pur de l’affectivité.
Dégradation simultanée des concepts de sensation et d’affectivité dans la philosophie classique et dans l’existentialisme quand n’est pas saisi l’être originel de la coenesthésie dont est oublié le pouvoir ontologique de donation en tant que son être est identique à l’affectivité. En réalité, l’affectivité est la forme de toute expérience possible. Critique de la conception cartésienne victime de son idéal de connaissance pure, bien que soit reconnue l’existence du sentir dans le cogito. Malebranche qui avait pressenti que pensée, conscience, âme sont constituées par l’affectivité comme forme a gâché son intuition par son interprétation aberrante de la finitude de l’âme humaine.
§ 58 L’interprétation ontologique de l’affectivité comme forme et comme affectivité pures et la problématique kantienne du respect
Héritier d’une tradition qui fait de l’affectivité le contenu de la sensibilité empirique, Kant considère le sentiment comme « pathologique ». D’où l’escamotage de la nature affective du respect dans la moralité qui doit exclure l’élément empirique. Faute d’un concept pur d’affectivité, il fait de la représentation de la loi entendue comme coercition de tous les penchants la condition du respect. Sa dévaluation de la vie entraîne sa méconnaissance de la nature de l’action et de l’amour (religieux).
§ 59 L’affectivité comme pouvoir originaire de révélation et la destruction de l’ensemble des préjugés la concernant
Forme de l’expérience, l’affectivité est la condition de tous les phénomènes, la manifestation. En tant que surgissement originel de la phénoménalité, elle rejette le néant, elle est l’existence. Révélation de son être, elle est l’être, c’est-à-dire qu’elle est Raison, fondement, ce qui pose « un nouveau concept de l’esprit, comme identique à l’affectivité » et oblige à congédier l’ensemble des préjugés la concernant : elle est lumière et non opacité, impulsion et non conscience, ce qui implique une nouvelle conception de l’action. Critique de Malebranche et de Fichte définissant le sentiment comme obscur.
§ 60 Détermination ontologique du pouvoir de l’affectivité. 1° Détermination du « comment de ce pouvoir : la vérité de l’affectivité
Démonstration faite à propos de la douleur
§ 61 L’obscurité du sentiment et son langage. Affectivité et pensée
Le Logos du sentiment dans son opposition à celui de la pensée. L’affectivité révèle l’invisible et comme cet invisible lui-même. Le sentiment est hors monde, insaisissable de façon réflexive. Echec du monisme heideggérien pour l’intégrer à des modes phénoménologiques appartenant à l’objectivité du monde. L’effectivité du sentiment est constituée par son obscurité principielle. Le Logos originel n’attend pas de la pensée qu’elle lui réponde ou qu’elle l’entende, « toujours il dit ce qui est et son langage n’a pas d’histoire ».
§ 62 Détermination ontologique du pouvoir de l’affectivité. 2° Détermination du contenu de ce pouvoir : la réalité du sentiment
Le principe de la différence qui existe entre nos divers sentiments est identiquement celui de leur unité, l’affectivité étant le principe de cette unité. Ils s’auto révèlent selon l’affectivité mais l’acte de la transcendance a sa révélation aussi : révélation du sentiment à lui-même et manifestation de l’objet s’accomplissent conjointement, le sentiment fondant la structure d’ensemble. Parce que la transcendance trouve son essence dans l’auto-affection de la relation qu’elle fonde, une telle relation se réalise sous forme d’une tonalité déterminée, la détermination du sentiment dans sa réalité particulière et variable étant celle de la relation elle-même.
§ 63 La vérité du sentiment et le problème des « sentiments faux » - qui ne sont que des sentiments mal compris, ce qui ne met pas en cause le Logos de l’affectivité . Critique de Merleau-Ponty et de Hegel.
§ 64 Le pouvoir de révélation de l’affectivité selon Scheler et § 65 selon Heidegger
La détermination du pouvoir de révélation propre à l’affectivité oblige la problématique à rejeter toute philosophie qui assimile ce pouvoir à celui de l’intentionnalité ou de la transcendance
§ 66 L’affectivité comme immanence. Etre originel et être constitué du sentiment
Peut-on objecter à la compréhension de l’affectivité comme immanence l’exception de « sentiments sensoriels »? Scheler pensait que ceux-ci, se présentant dans le corps organique, formaient une catégorie à part- ce qui est confondre révélation de l’être originel du sentiment et représentation qui est localisation. Rejet également de la thèse schelérienne des niveaux affectifs.
§ 67 Affectivité réelle et irréelle
Même rejet quant à la possibilité selon Scheler de ressentir des sentiments passés ou imaginaires ou d’habiter la souffrance d’autrui. Dans les deux cas, il s’agit d’une relation conçue comme intentionnelle, la conscience n’atteint qu’une image et ne peut éprouver réellement le contenu qu’elle se donne. Si la sympathie pour celui qui souffre est un sentiment réel, elle diffère de la souffrance éprouvée par l’autre dont le souffrir est auto révélation à soi qui constitue son ipséité.
§ 68 Affectivité et action
Critique de la conception schelérienne qui reconnaît la relation de l’affectivité à l’action ainsi que la puissance créatrice de celle-ci mais qui ne conçoit cette relation que par la médiation d’un troisième terme, le monde des valeurs, que pour sa part Freud avait écarté. En fait, l’action est l’existence même et son essence le pouvoir qui la constitue, originellement éprouvé dans un Je peux. L’affectivité est donc l’être de l’action, leur relation est interne, immanente, c’est-à-dire absence de relation.
§ 69 L’immanence radicale du sentiment et l’impossibilité de principe d’agir sur lui
En tant qu’il est leur essence le sentiment ne saurait dépendre du vouloir et de son exercice, de l’action ni être produit par eux – puisqu’il les précède. Indépendance reconnue par Luther ainsi que par la doctrine de la prédestination et de la grâce, l’impuissance de l’homme devant Dieu signifiant l’impuissance de l’action à l’égard de l’affectivité. Critique de Spinoza qui a voulu soumettre l’affectivité au pouvoir de l’homme, la placer sous la dépendance du vouloir et de son action et pour cela la réduire à des représentations.
§ 70 L’essence de la manifestation et les tonalités fondamentales. Affectivité et absolu
L’indépendance absolue des tonalités affectives à l’égard de l’action et de l’affection oblige la problématique à chercher dans l’essence même de l’affectivité. L’enracinement des tonalités affectives fondamentales de l’existence dans l’essence de l’affectivité, c’est-à-dire aussi bien de l’absolu lui-même, explique leur partage dans les deux catégories fondamentales de la souffrance et de la joie et la possibilité du passage de la première à la seconde, la possibilité pour ces tonalités de constituer ensemble quelque chose comme une histoire. Mise en lumière d’un concept nouveau de la dialectique comme dialectique immanente. Critique de la conception schelérienne du rapport de la souffrance et de la béatitude. Interprétation des thèses décisives de Kierkegaard sur le désespoir et son rapport à la béatitude.
Caractère absolu de la révélation qui trouve son essence dans l’affectivité par opposition à la finitude de la manifestation qui s’accomplit dans la transcendance du monde. Affectivité et absolu.
L’impuissance originelle du sentiment à l’égard de soi, sa passivité, est le souffrir. Souffrance s’entend donc comme adhérence parfaite à soi, l’obtention de soi étant la jouissance, la certitude de l’ipséité. Il s’agit de structures ontologiques. Le jouir est le mode selon lequel l’être s’historialise dans le rassemblement édificateur de la Parousie. L’unité de la souffrance et de la joie est l’unité de l’être lui-même. L’histoire de nos tonalités n’est autre que l’historial de l’absolu, lui-même le passage et l’histoire – histoire originelle qui ignore le temps de l’opposition et qui n’est ni dialectique ni pour autant irrationnelle. Le Logos de vie est langage.

APPENDICE : MISE EN LUMIERE DU CONCEPT ORIGINAIRE DE LA REVELATION PAR OPPOSITION AU CONCEPT HEGELIEN DE MANIFESTATION (Erscheinung)

§ 71, Le problème de l’essence de la manifestation et le déchirement, §72 La négativité interprétée comme une catégorie de l’être, § 73 La pseudo essence de la subjectivité et la critique du Christianisme, § 74 Le Royaume de la présence effective et la fuite hors de toute effectivité, § 75 Le temps et le problème de la manifestation du Concept, § 76 L’aliénation : finitude et inadéquation de la manifestation objective, § 77 L’effort vers le savoir absolu.
Cet appendice historique prend pour thème la philosophie de Hegel parce que celle-ci implique et d’une certaine façon systématise les présuppositions fondamentales qui ont été exposées sous le titre de Monisme ontologique. « L’hégélianisme commande la philosophie moderne. Il n’a pas peu contribué à donner à celle-ci sa physionomie propre, à lui conférer ses caractères distinctifs : l’absence de toute ontologie positive de la subjectivité, l’abandon de l’homme au milieu absolu de l’extériorité, le désespoir. » (p. 906)

Indépendamment de cet éclairage, ces chapitres constituent une étude magistrale de la pensée hégélienne, dominée en quelques dizaines de pages dans ses aspects les plus difficiles et sa signification ultime. Ils peuvent même être lus indépendamment de ce qui précède. Leur inclusion initiale dans L’essence de la manifestation a fait qu’ils n’ont jamais été l’objet d’une publication séparée.


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